Une histoire de fromage

Dans la liste des trucs chelous et surtout très relous liés à ma maladie, il y a mon alimentation. Pas mal de gadjos chauds de la médecine intégrative (= une approche des soins médicaux qui dit que c’est méga intéressant de combiner les thérapies conventionnelles, genre prendre du Doliprane, avec des thérapies complémentaires, genre faire de la sophrologie) ont fait un lien direct entre maladie auto-immune et problèmes au niveau de l’intestin. Le postulat si je vous le résume : si tu as une maladie auto-immune, your intestin is 100% sure pas ok. Une fois ce constat intestinal établi et que tout le monde est bien à l’aise avec le fait qu’on va parler très sérieusement de comment gérer ses entrailles et sa crotte, que faire ? Et bien je vous le donne en mille : ont fleurit tout un tas de régimes et de protocoles ayant globalement tous pour but de faire un sexy ravalement de façade de nos intestins. Si tes intestins vont bien : ton système immunitaire devrait aller vachement mieux.

Ça, c’est donc la partie 1 de l’affaire. J’ai commencé à me renseigner sur tout le schmilblick après une seconde rechute de ma maladie fin 2024. La rechute de la maladie, comment vous dire, c’est comme quand tu regardes en riant un super Reel de quelqu’un qui jette une tranche de jambon sur le visage de son chien sur ton téléphone en pleine rue et que BAM, d’un coup, tu te prends un poteau en pleine gueule. Tu crois que tu passes un super moment, tu fais pas trop gaffe, et en fait, la vie vient te mettre un KO technique sans prévenir. 

Dans mon histoire à moi, pas de chien, pas de jambon, ou presque. Juste un retour de vacances et des résultats d’analyses dégeulasses. 

Si on en revient aux intestins, des régimes et protocoles pour faire passer le message à ton système immunitaire qu’il faut redescendre en pression, il y’en a plein. Wahls, Seignalet, Kousmine, FODMAPS, AIP. Globalement tout le monde dit la même chose : le lactose et le gluten c’est ciao, le sucre raffiné c’est caca boudin, les additifs et aliments transformés c’est poubelle, vive les légumes… Avec plus ou moins de restrictions additionnelles selon les écoles.

Évidemment dès mes premiers instants de lecture sur le sujet, j’ai vu mon bol de Chocapic et mes tartines d’Ossau-Iraty au beurre salé s’envoler sur un fond de Spring Waltz de Chopin. Quel sens peut bien avoir la vie si on ne peut pas s’envoyer un paquet entier de Kinder Country (oui moi je suis team Kinder Country, désolé à l’équipe adverse qui dégomme des Schoko-bons) quand bon nous semble (et il nous semble beaucoup le 24 de chaque mois, d’après mon appli Clue). Je n’ai pas la réponse à date, on peut dire à priori que je cherche encore un sens à ma vie du coup. 

Passé le deuil de la pizza 4 fromages et le visionnage de 75 vidéos d’Irène Grosjean qui explique comment elle a guéri des malades du Sida en leur faisant manger des radis et de l’alfalfa à l’huile d’olive, j’ai eu une espèce de bouffée d’angoisse. Et s'ils avaient raison ? Et si vraiment en supprimant une multitude de trucs de mon assiette, j’allais mieux. Ce serait super et en même temps ce serait HORRIBLE. Je m’imaginais refusant à vie tout partage de moelleux au chocolat au restaurant, en pleurs, à me rouler de douleur sur la table sous les yeux ébahis des serveurs en train de composer discretos le numéro des urgences psychiatriques. 

Ma vie sera peut-être bouleversée à tout jamais. Ma liberté, restreinte à tout jamais. Une bonne base de réflexion pour une insomnie, je recommande. Ce n’est pas tant le fait de se dire qu’on est contraint, c’est de se dire que c’est POUR TOUJOURS. Que ça, et ça, et ça aussi, plus jamais. Jamais. De toute la vie. Et puis après un bain interminable dans une piscine de sentiment d’injustice à débordement, j’ai pris un petit peu de recul sur ma petite vie, ma petite maladie et mes petits problèmes. 

En fait, je crois que la vie bouleversée à tout jamais, ça arrive tout le temps, à tout le monde. On est tous concernés, et c’est toujours injuste. À différents niveaux. Que vaut ma douleur de ne plus manger des sticks de mozzarella face à un appartement bombardé, des parents décédés. Avoir un accident de la route, finir tétraplégique. Faire un AVC, ne plus jamais pouvoir parler. Avoir un enfant qui disparaît. Tout perdre au jeu. Ne serait-ce pas justement un peu le jeu de la vie que de la voir peut-être un jour être bouleversée à tout jamais ? Je ne pourrai peut-être plus jamais boire un chocolat chaud, mais je peux marcher, voir, parler, je peux serrer mes proches dans mes bras, hamdoulilah. 

Peut-être qu’un jour, ce ne sera plus le cas, mais en attendant, demain, je crois que ce ne sera pas si grave de ne plus manger de pâtes carbonara. 


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